Enseignement public
L'interdiction générale et absolue du port de signes d'appartenance religieuse par le règlement intérieur d'un collège est illégale (2 novembre 1992, Kherouaa et autres).
Le port du foulard à l'école par des jeunes filles de religion musulmane avait suscité un débat national, lors de la rentrée scolaire de 1989. Saisi par le ministre de l'éducation nationale, le Conseil d'Etat a rendu le 27 novembre 1989 un avis sur la compatibilité du port de signes d'appartenance religieuse avec les principes de laïcité et de neutralité de l'enseignement public.
Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, s'est prononcé pour la première fois sur le fond de la question à l'occasion d'un litige portant sur la légalité du règlement intérieur du collège Jean Jaurès de Montfermeil et sur la légalité des mesures d'exclusion prononcées par le conseil de discipline à l'encontre d'élèves sur la base de ce règlement.
Le Conseil d'Etat avait, dans son avis du 27 novembre 1989 rendu public par le Gouvernement, rappelé " qu'il résulte des textes constitutionnels et legislatifs et des engagements internationaux de la France que le principe de la laïcité de l'enseignement public, qui est l'un des éléments de la laïcité de l'Etat et de la neutralité de l'ensemble des services publics, impose que l'enseignement soit dispensé dans le respect d'une part de cette neutralité par les programmes et par les enseignants et d'autre part de la liberté de conscience des élèves (...). La liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d'exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l'intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui, et sans qu'il soit porté atteinte aux activités d'enseignement, au contenu des programmes et à l'obligation d'assiduité."
Par conséquent, " dans les établissements scolaires, le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l'exercice de la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses, mais cette liberté ne saurait permettre aux élèves d'arborer des signes d'appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l'élève ou d'autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin, troubleraient l'ordre dans l'établissement ou le fonctionnement normal du service public".
C'est au regard de ces principes que le Conseil d'Etat s'est prononcé dans l'affaire qui lui était soumise. Le conseil d'administration du collège Jean Jaurès de Montfermeil avait ajouté à son règlement intérieur un article interdisant le port de tout signe d'appartenance politique, religieuse ou philosophique dans l'établissement. A la suite de cette délibération, trois jeunes filles s'étaient vu interdire l'accès aux salles de classe. Ayant cependant persisté dans leur refus d'ôter leur foulard, elles avaient été exclues du collège. Leurs parents avaient attaqué à la fois la mesure de portée générale et les décisions individuelles frappant leurs filles.
Le Conseil d'Etat a tout d'abord admis la recevabilité des conclusions dirigées contre l'article 13 du règlement intérieur, revenant ainsi sur une ancienne jurisprudence qui rangeait l'interdiction par les autorités d'un lycée de port de signes d'appartenance politique au nombre " des mesures d'ordre intérieur ", insusceptibles d'être attaquées devant le juge administratif (21 octobre 1938, Lote, Leb. 788). Cette solution s'inscrit dans l'esprit de l'avis de 1989 qui, tout en soulignant le rôle régulateur qui incombe dans les lycées et collèges aux conseils d'administration et aux conseils d'établissement, avait rappelé que les règlements intérieurs, lorsqu'ils précisent les droits et devoirs des membres de la communauté scolaire, sont soumis à un contrôle de légalité.
Ayant admis la recevabilité de ces conclusions, le Conseil d'Etat y a fait droit, en constatant que l'interdiction qu'édictait la disposition attaquée présentait un caractère général et absolu et ne comportait aucune référence aux troubles ou difficultés que le port de certains signes aurait pu engendrer au sein de la communauté scolaire. Le règlement adopté par le conseil d'administration du collège ne trouvait ainsi aucune justification dans l'un ou l'autre des motifs qui, selon les principes dégagés par l'avis de 1989, aurait pu donner un fondement légal à une limitation du port du voile.
Quant aux décisions individuelles d'exclusion, elles n'avaient, en l'espèce, d'autre fondement que la méconnaissance de cette disposition du règlement intérieur ; le Conseil d'Etat les a donc annulées par voie de conséquence de l'illégalité de celle-ci, le conseil de discipline de l'établissement s'étant fondé sur la seule violation des dispositions du règlement intérieur et non sur le comportement des intéressées ou sur un trouble apporté à l'ordre ou au fonctionnement du collège.
Enseignement privé
Conditions d'application du principe d'égalité entre les usagers du service public des transports scolaires (19 juin 1992, Département du Puy-de-Dôme c/ Bouchon).
La loi du 22 juillet 1983 a transféré de l'Etat aux départements la compétence d'organisation des transports scolaires et les ressources correspondantes.
Si les collectivités locales ne sont pas tenues d'étendre aux élèves de l'enseignement privé les mesures sociales à caractère facultatif qu'elles prennent au bénéfice des élèves de l'enseignement public (Ass., 5 juillet 1985, Ville d'Albi, Leb. 220 ; 14 janvier 1987, Département du Pas-de-Calais), il n'en va pas de même pour les transports scolaires, qui constituent un service public prévu par la loi, auquel s'attachent des contraintes plus strictes au titre de l'égalité entre les usagers. La participation des établissements privés au service public de l'éducation ayant été consacrée par la loi Debré du 31 décembre 1959, il en résulte que la collectivité publique à laquelle incombe l'organisation des transports scolaires se doit d'assurer l'égalité des élèves de l'enseignement privé et de l'enseignement public en matière de transports scolaires.
Ayant reçu de la loi les compétences qui, jusqu'alors, étaient exercées par l'Etat en matière de transports scolaires, les départements se trouvent astreints au même impératif de non-discrimination à l'endroit des élèves de l'enseignement privé sous contrat. La décision Département du Puy-de-Dôme en précise toutefois les limites, dans le cas où le conseil général choisit de diviser le département en plusieurs secteurs de ramassage : le droit à subvention des familles ne s'exerce que dans le cadre ainsi défini, le principe d'égalité ne pouvant jouer au profit de ceux qui choisiraient de faire fréquenter par leurs enfants un établissement situé dans un secteur autre que leur secteur de résidence. En l'espèce, le requérant s'était vu refuser le bénéfice de la subvention parce que son fils fréquentait un collège situé dans un autre secteur que celui de sa résidence et cela alors même que ce secteur ne comportait pas de collège privé : ce refus a été jugé légal.
Cette solution s'inscrit dans le fil d'une jurisprudence par laquelle le Conseil d'Etat avait notamment jugé que le préfet pouvait légalement refuser une subvention à un réseau de transports scolaires dont l'objet était de permettre aux enfants d'une commune d'être scolarisés dans les établissements privés d'une commune voisine, alors que leur commune d'origine disposait des établissements publics nécessaires pour les accueillir (1er mars 1972, Association des parents d'élèves des écoles catholiques de Renazé, Leb. 182).
L'interdiction d'accorder des subventions d'investissement à des établissements privés accueillant des élèves des classes primaires s'applique quelle que soit leur forme (18 novembre 1992, Comité de liaison d'Antibes de la Fédération des conseils de parents d'élèves des écoles publiques).
La ville d'Antibes avait passé avec l'association " La Tramontane ", gestionnaire d'un établissement scolaire privé, une convention relative à la réalisation d'installations sportives que la ville s'engageait à construire sur un terrain mis gratuitement à sa disposition par l'association. En contrepartie, les élèves de l'école devaient bénéficier d'une priorité d'utilisation des installations pendant les heures scolaires. Et il était prévu que l'association en deviendrait propriétaire à l'expiration du bail de 99 ans. Mais possibilité était donnée à l'association, en cas de résiliation du bail après 15 années, de devenir propriétaire pour une somme de 10 000 F de ces équipements. Eu égard à leur valeur, estimée à 990 000 F en 1990, et au fait que ces équipements seraient encore utilisables à cette date, le Conseil d'Etat a estimé que l'opération revêtait le caractère d'une subvention d'investissement consentie par la ville.
Or l'octroi par les communes de subventions aux établissements d'enseignement scolaire privé est strictement réglementé par la loi. Pour l'enseignement primaire, l'interdiction de principe édictée par la loi du 30 octobre 1886 n'a été atténuée par la loi Debré qu'en ce qui concerne " les frais de fonctionnement des classes sous contrat " ; quant aux écoles secondaires, l'aide qui leur est octroyée doit se limiter, en vertu de la loi Falloux du 15 mars 1850, à la mise à disposition d'un local ou au versement d'une subvention dans la limite de 10 % des dépenses non couvertes par le forfait (Ass., 6 avril 1990, Ville de Paris et Ecole Alsacienne, p. 92). En l'espèce, les installations concernées pouvaient bénéficier indistinctement aux élèves de l'ensemble des classes, primaires et secondaires, de cet établissement, et c'est donc sur le fondement du régime le plus limitatif, celui de l'enseignement primaire, que le Conseil d'Etat a annulé la délibération du conseil municipal autorisant le maire à signer la convention.
Le Conseil d'Etat a précisé les règles qui président à la prise en charge par l'Etat des cotisations sociales complémentaires versées par les établissements d'enseignement privés (Sect., 15 mai 1992, O.G.E.C)
La loi Debré du 31 décembre 1959 prévoyait une égalisation de la situation des maîtres de l'enseignement privé liés à l'Etat par un contrat et de celle des maîtres de l'enseignement public. Cet objectif visait notamment la couverture sociale de ces enseignants. Dans cet esprit, la loi du 27 novembre 1977, dite " loi Guermeur ", ajoutait à la loi Debré un article 15 ainsi conçu : " Les règles générales qui déterminent les conditions de service et de cessation d'activité des maîtres titulaires de l'enseignement public, ainsi que les mesures sociales et les possibilités de formation dont ils bénéficient, sont applicables également et simultanément aux maîtres justifiant du même niveau de formation, habilités par agrément ou par contrat à exercer leurs fonctions dans des établissements d'enseignement privés liés à l'Etat par contrat. L'égalisation des situations prévue au présent article sera conduite progressivement et réalisée dans un délai maximum de cinq ans."
Il résulte de ces dispositions que l'Etat à qui incombe la rémunération des maîtres des établissements d'enseignement privés sous contrat, doit supporter également les charges sociales afférentes à ces rémunérations, à la condition que ces charges soient légalement obligatoires pour l'employeur. Toutefois, cette prise en charge n'est obligatoire qu'en tant que le taux des cotisations n'excède pas ce qui est nécessaire pour assurer l'égalisation des situations entre maîtres de l'enseignement public et maîtres de l'enseignement privé. Et c'est au Gouvernement qu'il appartient de déterminer par voie réglementaire la proportion des cotisations nécessaires pour atteindre l'égalisation.
Ainsi, les cotisations au régime de retraite et de prévoyance des cadres institué par la convention collective du 14 mars 1947, étendue aux établissements privés d'enseignement technique et agréée par arrêté interministériel, constituent, pour l'application de la loi du 31 décembre 1959, des charges sociales légalement obligatoires pour l'employeur. Mais le Gouvernement n'avait pas pris le décret en Conseil d'Etat limitant le remboursement par l'Etat de ces cotisations à la proportion correspondant aux prestations nécessaires pour assurer l'égalisation des situations entre maîtres de l'enseignement public et privé.
En l'absence de ce décret, la Section du contentieux a jugé qu'un établissement privé d'enseignement professionnel est en droit de prétendre au remboursement par l'Etat de l'intégralité des sommes versées au titre de ces cotisations alors même que les avantages qui en sont la contrepartie excèderaient ce qui est nécessaire pour réaliser l'égalisation des situations des maîtres. Il aurait fallu que soit intervenu un tel décret pour que l'Etat puisse se limiter au remboursement des seules charges sociales légalement obligatoires, nécessaires à l'égalisation des situations entre maîtres de l'enseignement public et privé.
Doivent être également remboursées par l'Etat les charges sociales qui ne sont pas légalement obligatoires pour l'employeur mais qui sont nécessaires pour parvenir à l'égalisation de cette situation. Mais leur prise en charge est subordonnée à un décret en Conseil d'Etat déterminant notamment la part de ces cotisations incombant à l'Etat. Les cotisations au régime de prévoyance institué par l'accord national conclu le 8 septembre 1978 entre organismes employeurs et organisations syndicales de l'enseignement catholique, en l'absence d'agrément ou d'homologation dudit accord, ne constituent pas des charges sociales légalement obligatoires. L'Etat n'ayant pas pris un décret en Conseil d'Etat déterminant la part des cotisations dont la prise en charge par l'Etat est nécessaire pour réaliser l'égalisation de la situation entre maîtres de l'enseignement public et maîtres de l'enseignement privé, la Section du contentieux a, par la même décision, jugé qu'un établissement ne saurait prétendre au remboursement de ces cotisations.
Ainsi, pour le remboursement par l'Etat des charges sociales versées par les établissements d'enseignement privé, un décret en Conseil d'Etat est nécessaire pour la limitation d'un tel remboursement à ce qui est nécessaire à l'égalisation de la situation des maîtres si les charges sociales sont légalement obligatoires. En son absence, l'Etat doit les prendre intégralement en charge. A l'inverse, lorsque les charges sociales ne sont pas légalement obligatoires, elles ne sont prises en charge, bien que nécessaires à l'égalisation de cette situation, que si un décret en Conseil d'Etat est intervenu pour déterminer la part nécessaire à l'égalisation des situations.